THE PTERODACTYL HUNTERS IN THE GILDED CITY
Il y a de ces œuvres qui vous surprennent. En feuilletant cet ouvrage en provenance des États-Unis, j'étais très loin de m'imaginer que j'avais affaire a ce que l'on appel communément un comic-book. Ou plus exactement, un Graphic Novel. La ressemblance avec ce qui se fait par chez nous, côté Europe, et notamment dans les publications indépendantes, est flagrante. Tant et si bien que j'ai même effectué quelques recherches afin de m'assurer de son origine ! Une sacrée surprise que l'on doit au plutôt débutant Brendan Leach.
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Photo de "The Comics Journal", article "Pterodactyl Hunters Rule". |
Véritable maître à bord de son projet, Leach ne se contente pas d'écrire et illustrer son histoire. Il conceptualise totalement l'album pour lui donner un aspect unique et original, jusque dans l'esthétisme. Ainsi, avant d'en venir au sujet même de cette bande-dessinée, attardons nous un bref instant sur son aspect: loin des formats habituels, il s'applique a prendre la forme d'un ancien tabloïd. Un choix voulu par l'auteur, et très judicieux puisque mêlant habilement la forme et le fond de son œuvre.
Photo de "Comics & Cola", article "Pterodacyles Hunters in the Gilded City by Brendan Leach". |
En ces temps où les copies digitales deviennent de plus en plus communes, faisant craindre chez les paranoïaques la disparition prochaine des publications papiers, on ne peut que féliciter cette initiative à la fois créative (le livre semble tout droit sorti de l'univers qu'il explore) et commerciale (comment ne pas succomber à un ouvrage aussi beau ?). Juste à titre d'information, précisons que la première édition de Pterodactyl Hunters était même offerte gratuitement sur demande ! Un succès public qui entraina inévitablement une rupture de stock. La seconde et nouvelle édition s'est vue dotée d'une couverture cartonnée supplémentaire afin de mieux protéger son contenu. Un petit rajout qui a un coût (la BD coûte désormais 2$, ça reste très raisonnable).
En première page de ce journal fictif daté de Novembre 1904, divers articles servant tout simplement à mettre en place l'intrigue. Sont présentés des évènements historiques et des personnages qui permettent au lecteur de planter le décors en seulement quelques secondes. Ingénieux. L'occasion aussi de placer quelques références cachées puisqu'y sont cités certains illustrateurs américains, dont David Mazzucchelli (le dessinateur du célèbre Batman: Year One) qui fut par ailleurs le professeur de thèse de Brendan Leach !
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Se déroulant donc au tout début du 20ème Siècle, l'intrigue prend place à New York City, dans ce que les américains surnomment le Gilded Age (l'âge doré). D'où le titre complet de l’œuvre d'ailleurs: The Pterodactyl Hunters in the Gilded City, que l'on traduit par "Les Chasseurs de Ptérodactyles dans la Citée Dorée". Il s'agit là d'une période de Reconstruction suivant la célèbre Guerre de Sécession. Un reflet historique sensiblement détourné puisque la population vit dans la terreur de ptérodactyles voraces ! Il n'y a ni comment, ni pourquoi, et c'est là qu'on plonge dans la délicieuse uchronie qui stimule tellement l'imaginaire.
Ici les tours de guet surplombent la ville et les Montgolfières patrouillent. On chasse le ptérodactyle à la dynamite et au harpon sur les toits d'immeubles. Des pancartes conseillent de ne pas sortir la nuit et un dinosaure va faire son nid sur le toit d'une église. Oui, il y a matière a rêver dans l'univers de Pterodactyl Hunters. Guère étonnant alors qu'on souhaite voir des batailles épiques au-dessus de l'île de Manhattan, avec tout un tas d'invention de type Steampunk pour donner la chasse aux ptérosaures ! Moi-même je visualisais déjà une sorte de relecture moderne du vieux serial Zeppelin vs Pterodactyls de 1936 (et qui fut également un projet abandonné par la Hammer en 1971).
Ici les tours de guet surplombent la ville et les Montgolfières patrouillent. On chasse le ptérodactyle à la dynamite et au harpon sur les toits d'immeubles. Des pancartes conseillent de ne pas sortir la nuit et un dinosaure va faire son nid sur le toit d'une église. Oui, il y a matière a rêver dans l'univers de Pterodactyl Hunters. Guère étonnant alors qu'on souhaite voir des batailles épiques au-dessus de l'île de Manhattan, avec tout un tas d'invention de type Steampunk pour donner la chasse aux ptérosaures ! Moi-même je visualisais déjà une sorte de relecture moderne du vieux serial Zeppelin vs Pterodactyls de 1936 (et qui fut également un projet abandonné par la Hammer en 1971).
Et pourtant non. Point de bataille rangée entre humains et dinosaures dans cette histoire. Nous ne sommes pas dans un épisode de Cadillac & Dinosaurs et le réalisme reste de mise, aussi étonnant que cela puisse paraître. De l'aveu de l'auteur, l'histoire privilégie avant tout le drame humain et se veut même plutôt intimiste, se focalisant sur la relation dysfonctionnelle de deux frères travaillant pour la Pterodactyl Commission. Deux frangins que tout oppose, sans que cela soit surligner au marqueur comme il est de bon ton dans beaucoup de production américaine. Pour peu que l'on remplace le boulot lié aux ptérodactyles, on se retrouve alors avec un drame familiale très terre-à-terre !
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Les protagonistes de ce scénario sont les frères Sullivan, deux hommes venant d'une famille irlandaise. Depuis toujours les Sullivan sont chasseurs de ptérodactyles et Eamon, l'aîné, ne fait pas exception. Il est même le dernier espoir de la ville puisqu'il traque les monstres sans relâche, avec un acharnement qui tient parfois du Capitaine Achab. Faisant peu cas des dommages collatéraux qu'entraine ses combats, il espère bien exterminer les derniers volatiles et libérer New York. Tous les journaux parlent de lui et il fait très certainement la fierté de son père.
Tout le contraire du pauvre Declan, dont la tâche ingrate consiste à surveiller le ciel chaque nuit depuis sa tour de guets, et éventuellement sonner l'alarme lorsqu'un ptérodactyle apparaît. Lassé de cette vie, agacé que le monde n'est d'yeux que pour son frère, il caresse secrètement le rêve de devenir un chasseur lui-même. Peu probable vue la tournure des évènements. Peu probable aussi sa romance avec une amie d'enfance désormais entrée dans les Ordres... Et que faire d'autre ? Son avenir paraît plus qu'incertain.
Avec une grande subtilité, Brendan Leach met en avant les failles de ses personnages, sans porter de jugement. Jamais Declan n'est montré comme lâche ou sournois malgré sa jalousie, et l'héroïsme d'Eamon est contrebalancée par ses actes. Il n'est même pas demandé au lecteur de se positionner, simplement d'observer, bien que le pivot du récit (selon moi) puisse éventuellement faire prendre parti. Malin, l'auteur ne donne pas dans le manichéisme facile et les deux frères se rendent chacun coupable d'un acte réprouvable...
En cette année 1904, la menace ptérodactyle semble pratiquement éteinte. La plupart des créatures ont été exterminées et lorsque commence la bande-dessinée, il pourrait n'en subsister encore que trois. C'est au cours d'une des dernières chasses que Eamon et son partenaire aperçoivent un ptérodactyle et sa proie. Un enfant dont on ne saurait dire s'il est vivant ou non. Faisant peu cas de la situation, Eamon attaque, coûtant – peut-être – la vie a une victime innocente.
Pour Declan s'en est trop. Sa jalousie peut l'aveugler, mais peut-être a t-il également raison lorsqu'il déclare que son frère ne pense qu'à la gloire, et non pas à la sécurité des habitants. Aussi décide t-il de mettre fin à la carrière d'Eamon en trafiquant son fusil qui va lui exploser au visage, lui faisant perdre un œil et son travail. Une action qui lui permet enfin d'obtenir le poste tant convoité, mais il le regrette aussitôt... Et puis n'est-il pas un peu trop tard pour devenir chasseur, alors même qu'il ne reste peut-être plus qu'une seule créature ?
En dire plus serait raconter le récit dans son intégralité, car Pterodactyl Hunters est une histoire courte qui se lit très vite. Mais les situations décrites ci-dessus devraient vous donner un aperçu de la maturité de l'écriture. Brendan Leach semble avoir un véritable don pour raconter sans trop en faire, allant jusqu'à approfondir un personnage secondaire à travers une simple réplique, une simple phrase faisant écho aux confessions de Declan et qui en dit bien plus long que n'importe quel discours ! Bridget, ou plutôt Sœur Bridget, laisse sous-entendre que pour elle non plus les choses n'ont pas tournés comme elle l'aurait voulu.
Tout le contraire du pauvre Declan, dont la tâche ingrate consiste à surveiller le ciel chaque nuit depuis sa tour de guets, et éventuellement sonner l'alarme lorsqu'un ptérodactyle apparaît. Lassé de cette vie, agacé que le monde n'est d'yeux que pour son frère, il caresse secrètement le rêve de devenir un chasseur lui-même. Peu probable vue la tournure des évènements. Peu probable aussi sa romance avec une amie d'enfance désormais entrée dans les Ordres... Et que faire d'autre ? Son avenir paraît plus qu'incertain.
Avec une grande subtilité, Brendan Leach met en avant les failles de ses personnages, sans porter de jugement. Jamais Declan n'est montré comme lâche ou sournois malgré sa jalousie, et l'héroïsme d'Eamon est contrebalancée par ses actes. Il n'est même pas demandé au lecteur de se positionner, simplement d'observer, bien que le pivot du récit (selon moi) puisse éventuellement faire prendre parti. Malin, l'auteur ne donne pas dans le manichéisme facile et les deux frères se rendent chacun coupable d'un acte réprouvable...
En cette année 1904, la menace ptérodactyle semble pratiquement éteinte. La plupart des créatures ont été exterminées et lorsque commence la bande-dessinée, il pourrait n'en subsister encore que trois. C'est au cours d'une des dernières chasses que Eamon et son partenaire aperçoivent un ptérodactyle et sa proie. Un enfant dont on ne saurait dire s'il est vivant ou non. Faisant peu cas de la situation, Eamon attaque, coûtant – peut-être – la vie a une victime innocente.
En dire plus serait raconter le récit dans son intégralité, car Pterodactyl Hunters est une histoire courte qui se lit très vite. Mais les situations décrites ci-dessus devraient vous donner un aperçu de la maturité de l'écriture. Brendan Leach semble avoir un véritable don pour raconter sans trop en faire, allant jusqu'à approfondir un personnage secondaire à travers une simple réplique, une simple phrase faisant écho aux confessions de Declan et qui en dit bien plus long que n'importe quel discours ! Bridget, ou plutôt Sœur Bridget, laisse sous-entendre que pour elle non plus les choses n'ont pas tournés comme elle l'aurait voulu.
Ce passage, a priori insignifiant au regard de l'histoire, interpelle pourtant énormément. Quel est l'histoire de Bridget ? Quelles étaient ses rêves ? Ses liens avec Declan ? Pourquoi est-elle devenue nonne ? Autant de question qui nous passe à travers la tête et nous donne envie d'en découvrir encore plus. En fait c'est peut-être même le seul défaut de ce livre, car il faut pouvoir supporter la conclusion très abrupt, qui ne finalise pas vraiment les problématiques soulevées dans le récit. Mais au regard du drame humain qui se joue, cela convient très bien. Ce sera donc a l'appréciation du lecteur, ou non. Une question de goût...
Cela n'a pas empêché le livre d'obtenir le Xeric Award 2010, une récompense attribuée par une œuvre de charité versé dans les Arts et la Littérature. Pour moi, le seul défaut que je lui ai trouvé tient dans son lettrage. De la police ridiculement petite de la première page du journal, quasi illisible, à l'esthétique des phylactères, un peu trop tremblants, la lecture peut en souffrir légèrement. Rien de bien grave cependant, d'autant qu'on peut arguer qu'il s'agit d'un choix créatif volontaire.
Bref, vous l'aurez compris, je recommande grandement cet ouvrage, beau dans sa forme et dans son contenu. Poétique et rêveur, il offre énormément et témoigne d'un grand talent de la part de son auteur dont il convient de suivre la carrière ! Thumbs up, comme dirait l'autre.
D'ailleurs Brendan Leach lui-même considère revenir sur son univers, évoquant lors d'une interview la possibilité d'écrire deux autres histoires: l'une qui se déroulerait avant Pterodactyl Hunters, montrant finalement New York aux prises avec d'innombrables ptérosaures (la fameuse terreur évoquée en début de récit), et l'autre qui ferait suite aux évènements du présent livre. L'inévitable trilogie en somme, et pourquoi pas du moment que l'écrivain conserve son style enchanteur !
Vous pouvez vous procurer la BD pour une somme dérisoire sur le blog de l'auteur (dont je livre l'adresse plus bas) mais également avec l'édition française de Ça et La, malheureusement dans un format relié des plus classiques et pour un prix supérieur, sous le titre Chasseurs de Ptérodactyles.
Et si par hasard vous étiez en redemande de ptérodactyles de ce genre, je ne peux que vous conseiller le film Q – The Winged Serpent de Larry Cohen, avec l'excellent Michael Moriarty et David Carradine. Réalisé en 1982, il raconte comment une créature mythologique volante se cache à New York, ayant fait son nid en haut du plus grand gratte-ciel de la ville et sortant de temps à autres se procurer de la nourriture parmi la population !
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